Changement climatique et influences sur l’apiculture

Les abeilles mellifères sont des spécialistes de la survie qui s’adaptent en général bien aux changements environnementaux. Toutefois, en cas de conditions météorologiques extrêmes fréquentes, elles ont de plus en plus besoin du soutien des apicultrices et apiculteurs.

Le changement climatique exerce déjà une influence significative sur nos abeilles et modifiera certainement la manière de gérer nos colonies d’abeilles à l’avenir. Certains scientifiques parlent plutôt de dérèglement climatique. Peu importe comment nous l’appelons, mais une chose est sûre, nous avons des changements brusques de températures tout au long de l’année. Les saisons semblent complètement décalées et, quelquefois, nous ne savons plus si c’est l’été en hiver ou l’automne au printemps et vice versa.

Depuis l’année 2007, j’observe attentivement la météo à St-Cergue, où se situe mon rucher, je relève chaque jour les températures et la quantité de pluie ou de neige tombée au sol.

Depuis 2020, le climat a sensiblement changé avec l’apparition régulière de canicules dès la fin de l’hiver ainsi qu’en automne – en été c’est presque devenu habituel. Il y a aussi des années irrégulières, soit trop sèches (par exemple 2022, 1’276 mm de pluie) soit très humides (par exemple 2023, 1’930mm) et de la neige quasi inexistante en dessous de 1’500 m dans le Jura.

Changements en forêt

La forêt change de visage, les sapins blancs et surtout les épicéas meurent même en montagne à cause des sécheresses à répétition ces 5 dernières années. Les épicéas seront gentiment remplacés par l’Erable sycomore, l’Alisier blanc, le chêne et les pins qui supportent mieux la chaleur et les périodes prolongées de sécheresse. Notre forêt change sur l’ensemble de la Suisse. Actuellement, le sapin blanc qui a un enracinement plus profond semble mieux résister.

Défis pour les abeilles

Modifications de ressources

• Modification de l’offre en nourriture (espèces, dates de floraison) : L’offre en nourriture changera sans doute dans le futur ; les dates de floraisons des plantes mellifères ainsi que leur répartition vont évoluer. La disparition des épicéas et la diminution des sapins blancs, par exemple, auraient une incidence sur le miellat récolté habituellement par nos abeilles. Heureusement pour elles, l’érable sycomore, le tilleul et le chêne produiront toujours sans doute, grâce aux pucerons, de grandes quantités de miellat.
• Manque accru de nectar/pollen en cas de chaleur/sécheresse ou de longues périodes de pluie :
  En cas de canicule et sécheresse, les plantes produisent moins ou quelque fois même plus du tout de nectar ou de pollen. De très longues périodes de pluie et de basses températures pendant des périodes cruciales pour l’apport en nectar empêchent les butineuses de profiter de ces ressources. La problématique de l’offre en pollen sera tout aussi complexe avec, possiblement, une abondance de pollen au début du printemps à cause de la hausse des températures et ensuite un manque de pollen sur la fin du printemps et le début de l’été.

Dans les deux situations, il est possible que les abeilles n’arrivent pas à récolter suffisamment de nourriture dans leur environnement naturel. Dépendant de la durée de ces périodes climatiques extrêmes, les réserves de nourriture dans la colonie peuvent manquer et, dans ce cas, le nourrissement par l’apiculteur·rice devient indispensable. Il s’agira également à l’avenir lors de beaux printemps abondants, de stocker des cadres de nourriture remplis de miel et de pollen afin de pouvoir les redistribuer en cas de temps froid et humide. Je me rappelle très bien le printemps 2021 où j’avais épuisé tout mon stock de cadres de nourriture.

Conditions météorologiques imprévisibles/extrêmes

Des gels tardifs, des canicules combinées à un manque d’eau, de longues périodes de pluie intense ou la grêle qui apparait plus souvent, sont des signes du changement climatique.

Ce qui interroge aussi, ce sont les hivers sans neige ni gelées. Ils risquent de faire vieillir prématurément les reines puisqu’elles seront en ponte toute l’année ; c’est d’ailleurs déjà le cas dans les pays du Sud.

Maladies et ravageurs favorisés

• Cycle du couvain plus étendu : avantage pour le développement du varroa. Sans absence de couvain en hiver, le traitement à l’acide oxalique contre les varroas n’est pas suffisamment efficace, et les varroas peuvent se multiplier toute l’année. Si les reines devaient à l’avenir pondre pendant toute la saison hivernale, une interruption artificielle de ponte serait indispensable.
• Meilleures conditions de vie pour de nouveaux ravageurs: des températures plus élevées, des hivers moins froids, offrent des conditions idéales à la propagation de nouveaux ravageurs, comme par exemple le frelon asiatique, le petit coléoptère de la ruche ou l’acarien Tropilaelaps.

Challenges pour les apiculteurs·rices

Un printemps précoce, un été chaud, un automne humide seront, à l’avenir, des situations plus fréquentes. Les apiculteurs·rices devront également être plus attentif·ve·s à tout ce qui concerne l’état de leurs colonies et y réagir. En plus, leurs pratiques doivent être adaptées à la météo. Par exemple, on ne peut pas ouvrir une ruche Dadant sous la pluie, raison pour laquelle les fenêtres météorologiques idéales doivent être prises en compte. Un planning flexible des travaux apicoles sera donc indispensable afin de pouvoir les effectuer au moment idéal.

Un emplacement adapté aux abeilles se caractérise déjà maintenant par un microclimat approprié, une offre suffisante en nourriture (flux de nourriture ininterrompu aux alentours) et la présence d’eau naturelle. Dans le futur, le choix de l’emplacement idéal deviendra de plus en plus important.

En période de chaleur, les abeilles ont besoin de beaucoup d’eau pour se rafraîchir et pour maintenir un climat sain dans la ruche. Un accès illimité à une source d’eau ou à un abreuvoir est indispensable. Il sera à l’avenir peut-être également nécessaire de placer les ruches à la mi-ombre (par exemple sous des arbres à feuilles caduques) pour limiter l’énergie déployée par les colonies pour abaisser la température dans la ruche.

Le traitement varroa restera très important. Le concept varroa du SSA, élaboré avec le Centre de recherche apicole (CRA), a prouvé son succès. Les mesures y indiquées comprennent le diagnostic-varroa, l’endiguement de sa prolifération et les traitements.  

S’informer, mettre à jour ses connaissances apicoles est primordial. Les aide-mémoire et vidéo mis à disposition par le SSA et sa newsletter à laquelle il est possible de s’abonner gratuitement sont des sources d’informations fiables et régulièrement adaptée aux connaissances actuelles.

Conclusion

Les abeilles vont devoir être des « super-héroïnes » très réactives afin de récolter du nectar, du pollen, du miellat, de la propolis et de l’eau lors de périodes surabondantes mais sur des épisodes de beau temps parfois plus courts. Nos abeilles sont tout à fait capables de s’adapter à ces nouveaux défis puisqu’elles existaient sur notre terre il y a déjà bien longtemps.

L’avenir de nos abeilles sera quand même fortement lié à l’adaptation des apiculteurs/trices en suivant une apiculture plus proche de l’abeille et du développement de la nature et moins orientée sur la production de miel. Le concept d’exploitation du SSA est un outil important d’aide à la décision qui permet un planning flexible des travaux apicoles, s’orientant à la floraison de plantes indicatrices.

Il y aura encore certainement de belles années abondantes en miel, mais aussi des années de disette. Il s’agira de l’accepter et de préserver avant tout la santé de nos chères butineuses. C’est un beau défi qui nous attend tous. À l’avenir, il sera très important de suivre les colonies de près et de réagir rapidement aux conditions observées.

C’est comme en forêt, les forestiers se sont adaptés à la demande du marché du bois et ont, pendant longtemps, tout misé sur l’épicéa qui a été planté en abondance aussi bien en plaine qu’en montagne. Aujourd’hui, sa disparition programmée n’est peut-être qu’un retour bienvenu à des forêts plus naturelles et mieux adaptées à leurs emplacements.